Parce que lorsqu’on parle de patrimoine, on pense plutôt à quelque chose de palpable, de tangible.
Pourtant, nous sommes aujourd’hui dans une économie dominée par l’immatériel. En effet, dans la situation de concurrence économique que nous connaissons, accentuée par le phénomène de la mondialisation, l’entreprise vit au quotidien le besoin impérieux de se différencier de ses concurrents.
Or, aujourd’hui, le capital immatériel est le principal facteur de différenciation des entreprises.
La distorsion que l’on peut observer c’est que d’un côté les entreprises françaises ont un patrimoine immatériel riche parce que nos entreprises créent, inventent et innovent mais d’autre part ce patrimoine est souvent mal protégé.
En effet, ce patrimoine est souvent mal identifié au sein des entreprises et surtout ces dernières ont tendance à penser que la protection des valeurs immatérielles serait réservée à des acteurs économiques disposant d’importantes ressources.
La notion de patrimoine immatériel et sa protection
Le premier enjeu pour l’entreprise consiste donc à identifier ses actifs immatériels. En effet, comment l’entreprise peut-elle avoir une quelconque stratégie si elle n’identifie pas ses actifs immatériels de valeurs.
Qu’est-ce qu’on entend par patrimoine immatériel ?
A côté des actifs immatériels classiques (marque, brevet, licence, autorisation administrative, droit d’auteur, base de donnée, logiciel, nom de domaine....) il y a aujourd’hui toute une série d’actifs immatériels dont l’entreprise a plus ou moins conscience. C’est par exemple le cas du savoir-faire, de l’expérience, de la réputation, du portefeuille clients, de l’image de marque, de la notoriété, de la recherche et du développement, de l’organisation de la production, des réseaux relationnels ........
Le deuxième enjeu pour l’entreprise, une fois qu’elle a identifié ses actifs immatériels de valeur, c’est de mettre en place une protection adéquate.
Pour certains de ces actifs immatériels, il existe des procédures de dépôts avec des titres de propriété intellectuelle. C’est le cas, notamment, pour les marques, les brevets ainsi que les dessins et modèles.
Néanmoins avant de se lancer dans le dépôt d’une marque, le chef d’entreprise doit avoir à l’esprit que le dépôt peut s’avérer inutile, si celui-ci n’a pas été correctement préparé et mis en œuvre.
Ainsi, par exemple, on peut constater que certains entrepreneurs déposent des dessins et modèles sur des objets qu’ils ont créés et commercialisés depuis plusieurs années, pensant que ce titre pourra les protéger.
Or, ce titre ne leur sera malheureusement d’aucune utilité, dès lors que le dessin et modèle suppose pour être valable d’être nouveau et que le créateur peut s’antérioriser lui-même.
Le modèle en cause serait susceptible d’être protégé par le droit d’auteur, quand bien même il ne remplirait pas les critères de validité des dessins et modèles. Mais très souvent, aucune démarche n’aura été faite par le créateur pour dater sa création. Or, en matière de droit d’auteur, le droit naît de la création et pourra alors se poser un problème probatoire.
Pourtant, il existe des systèmes simple et peu coûteux pour dater des créations, tel que l’enveloppe Soleau ou la lettre recommandée à soi-même.
En matière de brevets, les entreprises hésitent souvent à investir par peur de coût prohibitif, privilégiant pour leur innovation la voie du secret.
C’est un actif immatériel qui peut avoir une grande valeur à condition qu’il soit correctement géré et que l’entreprise ait mis en place un environnement sécurisé tant sur le plan contractuel que sur le plan de son système d’information (par exemple clause de confidentialité, messagerie sécurisée...).
Dans le même sens, l’adoption d’une marque faible peut se révéler parfaitement contreproductif, avec des risques d’annulation de la marque plusieurs années après.
C’est qui vient de se passer récemment avec la marque Seloger. En effet, la société Pressimo On Line qui exploite le site Seloger.com a vu ses deux marques verbale et semi-figurative Se loger annulées dans les classes de produits liées à l’immobilier et au logement par un arrêt du 14 octobre 2014 de la cour d’appel de Paris. Seule la marque Seloger.com a été reconnue valide par la cour d’Appel « considérant qu’il n’existe pas de similitude, source de confusion, entre les vocables “se loger pas cher”, “se loger moins cher” et “se loger immo”, qui ne contiennent pas le suffixe “.com”, avec les marques litigieuses, pour lesquels ce signe constitue un élément dominant et indispensable pour la distinctivité de la marque, le terme “se loger” n’étant pas à lui seul distinctif ».
Ceci démontre tout l’intérêt d’une réflexion en amont sur l’intérêt et la manière la plus adéquate de protéger ce patrimoine immatériel en fonction des besoins de l’entreprise.
Les enjeux de la protection de ce patrimoine immatériel
La protection de ce patrimoine immatériel peut donc revêtir une importance particulière pour les entreprises et une protection inadéquate peut s’avérer être une source de déconvenue importante.
Par exemple, on se rend compte que peu d’entreprises pensent à protéger leur patrimoine immatériel, ne serait-ce que dans le cadre des contrats de travail conclus avec leurs salariés ou de la politique menée au sein de l’entreprise.
Par exemple, en matière de droit d’auteur, la jurisprudence rappelle de manière constante que la conclusion d’un contrat de travail n’emporte pas de dérogation de la jouissance des droits d’auteur par le salarié.
La loi prévoit deux exceptions :
- l’une pour les logiciels pour les lesquels les droits patrimoniaux appartiennent à l’employeur
- l’autre pour les œuvres collectives ; une œuvre est dit collective lorsque les contributions personnelles de chacun des auteurs se fondent dans un ensemble en vue duquel elles ont été conçues, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun un droit indivis sur l’ensemble réalisé. L’exemple type de l’œuvre collective est le dictionnaire. L’entreprise, à l’origine de la création de cette œuvre collective et qui l’exploite sous son nom, est à ce titre investi des droits d’auteur
En dehors de ces exceptions législatives, le principe est donc que le salarié demeure auteur de son œuvre.
Or, l’employeur peut se croire à tort investi des droits d’auteur sur les créations de ses salariés, ce qui ne sera pas le cas, s’il n’y a pas eu la mise en place d’un environnement contractuel adéquate.
Un exemple de litige qui a fait grand bruit a opposé pendant plusieurs années un salarié dessinateur à son ancien employeur la société VAN CLEEF.
La mission de ce dernier consistait à contribuer à la réalisation de dessins de joaillerie au sein de l’équipe de dessinateurs de l’entreprise, fonction qui l’avait conduit à être considéré comme le responsable de l’équipe de dessinateurs.
Néanmoins, les relations de travail avec ce dessinateur n’avaient pas été formalisées par un contrat écrit. C’est la raison pour laquelle son employeur lui avait proposé en 2004 la signature de deux contrats, un CDI créateur/dessinateur » et une annexe à ce contrat de travail portant cession exclusive de ses droits d’auteur.
Le salarié avait refusé de les signer, estimant que ces documents ne correspondaient pas à la réalité et comportaient des dispositions illégales sur ce qui concernait, notamment, la cession de ses droits d’auteur et l’interdiction qui lui était faite de revendiquer un quelconque droit d’auteur patrimonial ou moral sur les dessins dont il était l’auteur.
Il avait par la suite été licencié après avoir mis en demeure son employeur de cesser toute reproduction et commercialisation des dessins sur lesquels il prétendait avoir des droits d’auteur.
Le salarié avait alors saisi le tribunal de grande instance de Paris d’une instance en contrefaçon soutenant « qu’il était investi des droits d’auteur sur les dessins originaux qu’il avait créés n’ayant pas cédé ses droits à la société Van Cleef ». Il sollicitait en conséquence une rémunération proportionnelle pour l’exploitation des créations antérieures à son départ et demandait au tribunal de reconnaître qu’il était investi de la plénitude des droits d’auteur sur les créations matérialisées par ses dessins originaux. Il réclamait aussi l’interdiction à la société Van Cleef de commercialiser les pièces de joaillerie reproduisant ses dessins.
Dans son arrêt du 14 septembre 2012 la cour d’appel de Paris, après avoir rappelé et précisé les conditions dans lesquelles les modèles Van Cleef avaient été élaborés et exploités, considère que les modèles litigieux étaient des œuvres collectives, seules propriétés de la société Van Cleef.
La cour constate :
- que le travail du dessinateur s’inscrivait dans un cadre contraignant qui l’obligeait à se conformer aux instructions esthétiques qu’il recevait de ses supérieurs,
- que les dessins litigieux qui sont en tant que tels « dépourvus de valeur » avaient été réalisés dans le respect du style Van Cleef,
- que d’autres personnes faisaient partie de la chaîne de création des modèles,
- enfin que les modèles avaient toujours été divulgués sous le nom de la société Van Cleef.
La cour juge alors qu’en « l’absence d’autonomie dans la réalisation du dessin », la revendication du dessinateur n’était pas fondée, la société Van Cleef étant en conséquence « seule titulaire ab initio » des droits patrimoniaux.
Cette décision a été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 19 décembre 2013.
Dans cette décision, l’œuvre collective vient au secours de l’employeur mais cette solution n’est pas toujours transposable, notamment dans de petites sociétés où le salarié aura une grande autonomie dans le processus de création.
De surcroît, on voit que ce litige est né d’un environnement contractuel non adapté.
Il est possible de prendre un deuxième exemple concernant une entreprise de e-commerce. La plupart du temps, les principaux actifs immatériels concernent le nom de domaine, la marque et le portefeuille clientèle.
Or, s’agissant du fichier clientèle, pour que cet actif immatériel ait une quelconque valeur encore faut-il qu’il ait fait l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL.
C’est ce que vient de rappeler la Cour de cassation dans un arrêt du 25 juin 2013 (RG 12-17037)
Cette décision de la cour de cassation a été rendue dans un dossier dans lequel une société exploitait un fonds de commerce de vente de vin aux particuliers. Il n’y avait pas eu de cession du fonds de commerce mais seulement une cession d’un élément incorporel, en l’occurrence le portefeuille de la clientèle de vente de vin aux particuliers exploité sous l’enseigne BOUT-CHAR depuis 2002 et auparavant GUICHARD depuis 1946.
Il s’agissait d’un fichier d’environ 6000 clients mais le cessionnaire s’aperçoit que moins de 2000 de ces contacts sont actifs. Il s’aperçoit également que ce fichier n’a pas été déclaré à la CNIL et il voit là un motif d’annulation de la vente.
En première instance, les juges refusent d’annuler la vente au motif qu’il n’y a pas de nullité sans texte. Or, la loi informatique et libertés ne prévoit pas de sanctions civiles en l’absence de déclaration du fichier.
La Cour de cassation censure au visa de l’article 1128 du Code civil qui rappelle qu’il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puisse faire l’objet d’une convention. Or, tout fichier ou de traitement de données à caractère personnel doit faire l’objet d’une déclaration à CNIL. En l’espèce, ce fichier n’avait pas fait l’objet d’une telle déclaration, en contravention avec les dispositions de la loi informatique et libertés et revêt donc un caractère illicite. Par conséquent l’objet de la vente est illicite.
Or, parfois, en matière de cession de fonds de commerce, la cession du portefeuille de clientèle est susceptible de constituer un élément primordial de la cession.
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